pourquoi les filles sont si peu représentées dans les filières scientifiques

Dans une toute récente publicité, la société de télécommunications américaine Verizon montre aux parents comment ils ont contribué dès la naissance de leur fille, à la désintéresser des questions scientifiques. La voix off annonce les sinistres résultats d’une étude de la National Science Foundation selon lesquels en CM1, 66% des filles disent aimer les sciences et les mathématiques, alors qu’il n’y a que 18% de femmes dans les écoles d’ingénieur. La publicité de Verizon souligne l’importance des mots, de ce que l’on dit aux enfants lors de leur éducation et qui influe sur leur perception d’eux-mêmes et du monde : « Ma jolie », « ma petite », « ça peut te faire mal, laisse faire ton frère »… Voyez par vous-mêmes :

D’après le sociologue et philosophe Pierre Bourdieu, cela est caractéristique des sociétés androcentriques. Il écrit au chapitre II (« L’anamnèse des constantes cachées ») de La Domination Masculine (Ed. Le Seuil 1998) :

« C’est à travers le dressage des corps que s’imposent les dispositions les plus fondamentales, celles qui rendent à la fois enclins et aptes à entrer dans les jeux sociaux les plus favorables au déploiement de la virilité : la politique, les affaires, la science, etc. (La prime éducation encourage très inégalement les garçons et les filles à s’engager dans ces jeux et favorise davantage chez les garçons les différentes formes de la libido dominandi qui peut trouver des expressions sublimées dans les formes les plus « pures » de la libido sociale, comme la libido sciendi1.)

1. Il faudrait citer toutes les observations qui attestent que, dès la prime enfance, les enfants sont l’objet d’attentes collectives très différentes selon leur sexe et que, en situation scolaire, les garçons font l’objet d’un traitement privilégié (on sait que les professeurs leur consacrent plus de temps, qu’ils sont plus souvent interrogés, moins souvent interrompus, participent plus aux discussions générales). »

 

Le défi de Dr. Tobo Lobe : Rubisadt, une fondation entièrement dédiée à l’éducation scientifique des jeunes Camerounaises

 

esukudu florence tobo lobe rubisadt tv5Au Cameroun, la Fondation Rubisadt (dont je fais partie), travaille à promouvoir les carrières scientifiques auprès des jeunes filles de Sixième à Terminale. Cours de soutien gratuits en mathématiques, physique et chimie, accompagnement personnalisé avec des pédagogues exceptionnels et passionnés (pour avoir bénéficié de cet encadrement, je sais de quoi je parle), ateliers et camps scientifiques… Rien n’est laissé au hasard pour faire renaître auprès des filles l’amour des sciences. Dr. Florence Tobo Lobe a créé cette fondation il y a presque 20 ans à Douala, dit dans cette récente interview sur TV5 :

« Moi, à la fondation, je voudrais que mes jeunes filles sachent premièrement, qu’il faut développer la confiance en elles-mêmes, le respect, l’amour d’elles-mêmes, et savoir acquérir l’esprit critique – c’est-à-dire un esprit qui s’interroge, un esprit qui s’étonne, un esprit qui veut participer, un esprit humble qui est capable de remettre en question des choses. Pour être capable de remettre en question des choses, il faut déjà les connaître. »

Elle rajoute : « Les parents doivent encourager leurs enfants, mais la motivation doit venir des filles elles-mêmes. Parce que c’est elles qui doivent se dire : « Je n’écoute pas le professeur qui dit : ‘Tu ne pourras jamais faire physique, tu ne pourras jamais faire maths, tu ne pourras jamais faire chimie’ ; mais je dois avancer » et les parents doivent les encourager. Mais les parents ignorent tout ce qu’il y a comme métiers liés à la science. Je voudrais démystifier la science. La science n’est pas la magie. »

La Fondation Rubisadt a besoin de partenariats et de soutien financier pour ouvrir un lycée, car elle a constaté que les jeunes filles les plus motivées viennent des milieux les plus pauvres ! Si son engagement est aussi le vôtre, soutenez-nous ! Contact : infos@rubisadt.org

7 réflexions sur “pourquoi les filles sont si peu représentées dans les filières scientifiques

  1. Attention à ne pas confondre l’esprit critique, l’analyse et la finesse ainsi que l’esprit scientifique avec le fait de croire que la science est le chemin royal de la connaissance.
    Il y a d’autres matières que les math et la physique qui sont valorisantes et intéressantes et souvent bien plus intéressantes qu’un raisonnement avec une suite d’ équations abstraites.
    Notre attachement à la filière S vient de l’orgueil social à mon avis et d’un esprit élitiste.
    Si beaucoup de femmes ne veulent pas rentrer dans la compétition sociale et la course au pouvoir et préfère des métiers perçu comme plus humbles, c’est peut-être aussi parce qu’elles sont moins orgueilleuse que beaucoup d’hommes et qu’elle cherche autre chose que la domination par le diplôme et la réputation de l’école qu’elles ont faite.
    Peut-être beaucoup de femmes préfèrent servir humblement que d’être servie.
    Pourquoi vouloir détruire cette image douce et aimante d’une femme et en faire à tout prix une « pareille ».
    Beaucoup de femmes aiment les sciences et les autres matières.
    Laissons à chacune le choix.
    Ne dit-on pas  » la femme dispose » depuis des siècles. Et aujourd’hui l’adage se perd!
    Si on arrêtait d’en faire un objet sexuel comme on peut le voir dans les publicités de mode que l’on voit sur les affiches et que l’on redécouvrait le murmure des siècles passés qui la représentait avec pudeur!
    Il faudrait aussi s’interroger sur notre regard sur les femmes, alors peut-être elles se sentiraient moins méprisés.
    Le problème de la filière S est qu’elle est devenue l’objet de la sélection et de l’orgueil sociale.
    Les mathématiques ne sont plus perçus comme une belle matière formatrice mais comme un outil de sélection.

    Aimé par 1 personne

    1. Ce commentaire m’a bien fait réfléchir. Merci pour ça. La « solution » pour un esprit critique ne serait pas la science, mais la philosophie. Je suis entourée d’ingénieurs, et peu d’entre eux sont capables de remise en question, de porter un nouveau regard sur soi ou sur le monde. Ils ont la science, mais peinent encore à avoir l’amour du savoir et le dédain des opinions.

      Aimé par 1 personne

    2. Trés bon commentaire, tout est dit… Il ne s’agit pas de faire comme d’habitude de nos jours, un combat systématiquement paritaire entre homme et femme mais que chacun s’épanouissent dans ce qu’ils font tout simplement…

      J’aime

  2. Je pense pour ma part que Dr TOBBO veut briser les tabous sociaux qui confinent la femme à certains rôles sociaux ou domestiques, sans pour autant considérer que seules les sciences permettraient aux gens de marquer d’une pierre leur passage dans ce monde. Cette discrimination s’illustre d’une autre façon dans certains pays, où l’on continue, quand les moyens de la famille sont quelque peu limités, à privilégier le financement des études des garçons au détriment de celles des filles. S’agissant de la prétendue suprématie des carrières scientifiques, il me souvient ce commentaire d’un philosophe qui fit l’objet de ma toute première dissertation en Tle : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de plusieurs manières ; ce qui importe, c’est de le transformer. »
    C’était dit à une époque où l’industrie et la science se développaient dans le monde à une telle vitesse que le citoyen lambda ne pouvait voir derrière ces gratte-ciels, ces déplacements d’un continent à un autre en un tour de main, ces usines qui s’automatisaient de plus en plus, ces automobiles qui devenaient de plus en plus rapides, pour ne citer que cela, qu’une amélioration de notre planète. Où en serait notre planète aujourd’hui si on avait laissé sans garde-fou continuer ces ravages avec la multiplication des centrales atomiques, la construction des armes à destruction massive, des armes chimiques, la déforestation à outrance? Où en serait-on si çà et là, il n’y avait pas eu des objecteurs de conscience, si quelques philosophes bien-pensants et si les protecteurs de l’environnement n’avaient pas interpelé les consciences des décideurs et des citoyens de la terre pour nous amener tous à plus d’humanisme et de respect pour notre vielle planète?
    Ceci dit, je reconnais que si l’orgueil et la fierté des parents de voir leur enfant évoluer dans une filière scientifique sont réels, je vous assure qu’il en existe aussi qui comme moi, éprouvent une immense fierté de voir leurs enfants réussir et être épanouis dans des filières autres que scientifiques. Ce qui en revanche me fait encore grincer des dents, c’est quand on s’imagine que dans une assemblée où les hommes sont largement majoritaires, le choix du secrétaire de séance doit se porter sur la gent féminine…

    Aimé par 1 personne

Merci de laisser un commentaire !